(sander) smoke screen

moi je te trouve magnifique. depuis la première fois que je t'ai vu.
d'ailleurs, je ne m'en suis toujours pas remis.
et puis comment je ferais sans toi moi ?
et puis comment l'univers il ferait sans toi ?
ça ne pourra jamais fonctionner. c'est impossible.
alors faut pas pleurer, faut pas pleurer,
parce que ça va aller je te le promets, ça va aller.

"prends les avec moi". ça t'a semblé logique quand t'as répondu par l'affirmative, le regard mordoré égaré dans ses pupilles implorantes. le souvenir de son baiser imprimé sur tes lèvres, le geste désespéré dont vous n'avez plus jamais parlé. ta volonté qui flanche systématiquement sous le poids de l'émotion, influençable. sander, t'es prêt à lui dire oui pour tout, oui tout l'temps, oui pourvu que tu puisses continuer de le convoiter en secret. mais quand tu contemples les pilules multicolores qu'il a rassemblées sur son lit, t'es plus certain de rien. la main fébrile qui s'avance pour les ramasser, t'es à peine rassuré par ses doigts qui s'enroulent autour de ton poignet. tu sais pas s'il cherche à te retenir ou à t'encourager, les pensées désordonnées qui ne parviennent plus à faire sens. lâche-moi, lâche-moi sinon j'y arriverais pas. et quand tu fais glisser les cachetons dans ta trachée, t'as le cerveau qui s'obscurcit. la peur panique qui te tord les boyaux, incontrôlable, la pulsion de vie qui secoue ton corps. tu serais prêt à crever pour lui sander, mais pas à crever avec lui. t'es pas assez malheureux, pas assez brisé. t'as pas encore renoncé, et choisir de mourir à treize ans c'est pas normal. tu sais qu'c'est pas normal, toi tu veux vivre encore, tellement d'choses que tu projettes d'accomplir avant de t'affaler la bouche ouverte, les yeux révulsés. tu crois qu'il sait, qu'il perçoit le trouble dans tes billes affolées quand tu te lèves brutalement, te rues sur la porte de la chambre que t'ouvres à la volée. qu'il sait quand tu t'penches au dessus des chiottes, les doigts tremblants qui se plaquent au fond d'la gorge, quand tu dégobilles tes tripes, trois fois, quatre fois juste pour être sûr. qu'il sait que tu l'as laissé tomber. les jambes qui se traînent, les poings qui tambourinent vainement sur la porte qu'il a fermée à clé, l'enculé. t'as beau supplier, t'as beau chialer, t'as beau frapper, t'es condamné à rester là, de l'autre côté. punition insupportable qui te broie le cœur. le portable oublié sur la couette où il agonise, t'as l'impression que les secondes raccourcissent, se bousculent alors que tu dévales l'escalier. que tu t'y reprends à plusieurs fois pour composer trois numéros, alerter les secours, revenir hurler que t'es désolé à travers le bois qui assourdit tes excuses inutiles, tes excuses trop tardives. t'aurais du parler avant sander, au lieu de croire que t'aller y arriver. t'aurais du prévenir quelqu'un qu'il supportait plus les insultes de vos camarades de classe, les rires quand il se hasardait à une mauvaise réponse. les "sale dégénéré" murmurés sur son passage, tagués sur son casier. qu'il s'inventait un univers quand cet autre gamin placé dans sa famille d'accueil lui rendait visite la nuit, serrait son cou, marquait son corps. qu'il crevait à l'intérieur et que tout l'monde s'en foutait. t'aurais du hurler pour les faire écouter, leur cracher votre malaise de gamins oubliés à la gueule. parce que maintenant c'est trop tard sander, maintenant il s'est évadé sans toi. et tu t'en mords les doigts.  

non j'ai braqué personne, planté personne, buté personne,
mais j'suis un voyou c'est comme ça qu'on dit tout simplement.
j'ai fait des choses que j'regrette suffisamment,
suffisamment pour y penser tout l'temps.
j'pourrais te donner un million de bonnes raisons
pour qu'on m'attrape, qu'on m'casse les genoux et qu'on m'cloue au pilori

"on va t'adopter", ça a raisonné comme on va t'buter. t'as vrillé, les neurones se sont entrechoquées. t'as tout essayé sander, pour leur faire comprendre que t'es une mauvaise herbe, du genre à envahir leur jardin propret, contaminer les plantes qui s'épanouissent. tu leur as dit que t'es un gamin bousillé par une enfance à gerber, que t'as laissé crever un pote au lieu de l'en empêcher, les sentiments disloqués. parce que le coma, c'est comme la mort. qu'en plus de ça tu pisses dans les haies, tu bégaies, t'es pédé. qu'en toi, y'a rien à sauver. tu t'es éclaté les phalanges sur le voisin juste pour leur prouver. tu t'es battu comme un chien d'la casse, la tête éclatée contre le béton, le nez pété et les hospitalisations régulières. t'as déversé toutes les saloperies de ton vocabulaire pour les voir encaisser, avaler, digérer. t'as hurlé tellement fort que t'as même pas bégayé. t'as tout donné mais rien n'a fonctionné. plus obstinés que toi, ils se sont contentés de pardonner et tu t'es laissé apprivoiser. l'amour inconditionnel t'as submergé, suscité un profond sentiment d'injustice. pourquoi toi et pas un autre ? et puis t'as décidé d'abandonner ta posture d'enculé, lâcher les armes, faire confiance. t'affaiblir, bercé par un sentiment nouveau de sécurité. t'es plus habitué à te méfier sander, contaminé par le confort, le fric, les sales manies de gamin trop gâté. même si t'oublieras jamais, tu fournis des efforts considérables pour enterrer les souvenirs qui refluent parfois dans tes songes, les mirettes qui s'ouvrent, le cœur qui s'emballent, la transpiration qui fait frissonner ta nuque et mouille tes draps. pour rien au monde tu veux renoncer à tout ça, la seconde chance inespérée alors que t'avais rien demandé. un équilibre qui tangue désormais sous les assauts de la justice que ton père était censé incarner, les doigts accusateurs pointés sur ta famille. tu flippes sander, de retomber dans l'oubli, de galérer, de redevenir un moins que rien.

— en vrac.
001. t'as été placé en foyer à l'âge de sept ans, défaillances d'une mère qui t'exhortait à tendre la main sur le trottoir pour inspirer la pitié et t'accusait régulièrement de tous les désastres qui lui tombaient sur le coin d'la gueule. à dix ans, on t'a annoncé son overdose quelque part dans un squat de junkies. t'as refusé d'aller à l'enterrement, pas versé une larme. 002. ton meilleur pote d'enfance est dans le coma depuis six ans, père biologique qui s'est manifesté trop tard pour payer les frais d'hôpitaux, le maintenir en vie pour soulager sa culpabilité. t'hésites à le laisser partir, lui donner ce qu'il a toujours voulu quand il a avalé ces foutus médicaments. 003. tu squattes souvent l'asso lgbt que t'as découvert l'été dernier, le bébé toujours prêt à suggérer des actions explosives, qui cherche désespérément à aider ceux qui s'font malmener. comme si tu pouvais te racheter de ton inaction passée. 004. soumis au stress, aux prémices de la colère, tu ne maîtrises pas le bégaiement qui fait s'éclater les syllabes contre ton palais, la langue indisciplinée. 005. skateur invétéré, tu traînes ta carcasse sur ta vieille planche à roues qui date de l'enfance. 006. tu te permets quelques joints de temps en temps, habitude dont t'évites de te vanter pour ne pas ruiner tes ambitions de sportif. 007. la connerie de groupe, pétard allumé pour emmerder la voisine. t'as pris un éclat dans la gueule, la vue qui s'altère depuis plusieurs années. inopérable qu'ils disent, un jour tu ne verras plus que l'obscurité et tes rêves s'écrouler. t'y pensais plus vraiment jusqu'à ces maux de tête inquiétants qui t'assaillent depuis plusieurs semaines. 008. ton père adoptif a récemment révélé une infidélité, dont il prétend avoir toujours ignoré l'existence d'un bâtard, l'un de ceux que t'aurais du être, môme pas gâté qui a du se débattre pour exister et qu'il veut désormais aider. mais toi ça t'emmerde clairement sander, tu veux pas de c'gars pour prendre ta place, pomper le fric qui reste et tous vous niquer. 009. t'es incapable de passer une journée sans musique, le casque constamment vissé sur les oreilles. 010. tu dors mal, zones beaucoup dans la pénombre, les cernes creusées le lendemain. 011. mytho invétéré, tu racontes beaucoup d'bobards et t'aimes particulièrement t'inventer des vies quand tu sors en soirée.