baby in a another world we would be soulmates | aaron

— don't tell anyone, or you'll be just another regret.

Aujourd’hui le temps est maussade. Il pleut à verse et le ciel est gris, c’est pour cela que je ne peux pas te rendre visite. Pourtant, il faut absolument que je te parle, j’ai donc décidé de t’écrire une lettre. Je sais que ça doit te surprendre de lire ces mots, enfin si tu peux les lire, puisque ça fait un moment que je ferme ma bouche quand je viens te voir. Faut pas m’en vouloir, c’est que les larmes me nouent toujours la gorge, chaque parole prononcée me donne la sensation de recevoir des coups de poignards. Alors je m’en vais, après avoir déposé quelques fleurs sous ton arbre  pour montrer au reste du monde qu’on ne t’a pas oublié. Qu’on tient encore à toi. A la maison, on ne parle jamais de toi. Papa dit que c’est mieux ainsi, que ça ne sert strictement à rien de ressasser des vieux souvenirs. Qu’après tout, il faut qu’on réapprenne à vivre, qu’on cicatrise en silence. Remarque, des souvenirs moi, j’en ai pas beaucoup en stock. T’es partie alors que je venais tout juste de fêter mon quatrième anniversaire. Aujourd’hui, j’en ai dix-huit  donc ma mémoire a un peu fait le tri. C’est bizarre de se dire qu’on n’a jamais vraiment pu se dire au revoir tous les deux. C’est pas comme si une maladie t’avait emportée à jamais. C’est pas comme j’avais pu m’y préparer. Là, c’est juste une soudaine crise cardiaque qui a mis un terme à ta vie. Y a pas à dire mais la vie c’est quand même une sacrée connasse tu ne trouves pas ?

Enfin, je ne t’écris pas vraiment pour ça Maman. Je t’écris parce que ces temps-ci j’ai l’impression que tout va de travers dans ma vie. Et je ne peux pas en parler à Papa. Il est trop occupé avec son boulot. Il est toujours le nez dedans tu sais, je pense que c’est un peu son moyen à lui de ne pas avoir ton image tout le temps dans sa tête. Il ne me parle pas vraiment en réalité. Apparemment, je te ressemble énormément, ça doit être pour cette raison. Mais bon, moi ça me fait quand mal cette foutue distance. Mais bon, il a assez de problèmes comme ça, j’ai pas vraiment envie qu’il s’inquiète pour moi, je suis pas une personne égoïste. J’ai écrit un livre tu sais. Ton frère m’a aidé à le faire éditer. Il a eu un certain succès. Ca parle d’un garçon qui n’arrive pas à pleurer. Un garçon qui, pour la première fois, se rend compte que tout ne va pas bien dans sa vie. J’ai mis un moment à comprendre que j’écrivais ma propre histoire. Papa l’a lu. Je crois qu’il ne sait même pas que c’est le mien. Enfin, là n’est pas le sujet.

J’ai largué une fille pour la première fois de ma vie. Je l’avais rencontrée par l’intermédiaire de Cassandre. On s’est vu plusieurs soirs mais je ne l’aimais pas. Alors j’ai décidé d’arrêter. Et c’est bien là le problème. Je me rends compte que j’ai jamais vraiment été amoureux de quelqu’un,  Maman. Au début, je pensais que c’était juste parce que j’en étais pas capable. Que l’amour c’était une particularité dont tout le monde n’était pas doté, comme la beauté ou l’intelligence. Mais en fait, mon cas est un peu plus complexe que cela.  Je ne sais pas ce qu’il se passe dans ma tête, tout se mélange. Et mon cœur, c’est pas mieux. Je pense avoir touché le fond l’autre jour. J’étais avec Nate, ne cherche pas trop dans tes souvenirs Maman, lui tu ne le connais pas. On est censé être meilleurs amis. Pourquoi « censé » te demandes-tu sûrement. Et bien pour la simple et bonne raison que l’autre jour, quand je l’ai vu venir vers moi,  avec notre autre amie, je me suis senti très inquiet, mon estomac se tordait.  J’ai soudainement pris conscience que ce phénomène était tout sauf normal. Alors j’ai fait demi-tour, sans même prendre le temps d’inventer une excuse.  Je suis rentré à la maison et me suis enfermé dans ma chambre pour y passer le reste de la journée.  Je n’avais pas fait ça depuis mes quinze ans, quand j’ai entamé ma crise d’adolescence. Au fait je suis bien content que tu ne m’aies pas vu à cette période de ma vie, c’était vraiment affreux !  Enfin bref.  Je sais plus où j’en suis. J’en ai parlé à personne, Maman. J’ai peur de la réaction des autres. Je suis différent. D’après Papa, tu disais souvent que la différence était une force et non une faiblesse. Mais ma petite Maman, moi je n’ai pas envie d’être fort. Je veux être comme tout le monde. Je ne veux pas essayer de comprendre ce qui ne va pas chez moi.  Les gens me pointent déjà assez du doigt comme ça. Moi, le fils insociable et bizarre d’un des plus gros entrepreneurs de la ville, le garçon qui fréquente le meilleur lycée de la ville mais qui n'est pas fichu de se faire des amis, le garçon qui a préféré publier son travail anonymement plutôt que de devoir avouer au monde entier qu'il pouvait faire quelque chose de bien. Alors Maman, si tu pouvais faire en sorte de m’envoyer un signe ou quelque chose comme ça, je crois que je t’en serais éternellement reconnaissant. J’ai besoin de toi Maman. J’ai besoin que quelqu’un me dise que tout va bien se passer. Mais personne n’est là. Et franchement, ça fait mal de se dire qu’on est seul au monde.

Ton fils un peu détraqué et complètement paumé,
Aaron.
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