un autre que moi (liam)

derrière toi, le haut bâtiment s'éloigne peu à peu. la voix du prof d'anglais résonne encore dans ton crâne amoché. toute la journée t'as essuyé des regards surpris. surpris qu'tu sois en cours, surpris qu'tu sois encore en vie. tu ricanes tout seul. bordel. tu frottes tes yeux fatigués d'une main lasse. le tapage nocturne dans l'appart a été usant. un mélange de papa déchiré, d'un frère excédé et de toi. de toi rentrant trop tard en pleine nuit. vie sans dessus dessous. pourtant, les quelques billets dans ta poche remplissent ton cœur de sang chantant. tu vas pouvoir t'acheter un truc ou deux. tu vas pouvoir remplacer l't-shirt noir aux quelques trous sur le torse que t'as sur le dos. et des clopes. tu vas acheter une montagne de clopes. d'ailleurs, t'en sors une pour fêter ça, pour te fêter toi. elle est un peu abîmée mais ça change rien. tu la cales entre tes lèvres pleines avant de l'allumer à l'aider d'un zippo volé. et juste comme ça, au dessus de ta tête, le ciel semble un peu moins gris.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

mais qu'est-ce que tu fous là ? ça résonne dans sa tête en continu alors que ses pas le mènent vers regent. on va le reconnaître, il a pas la dégaine des gueux, et même s'il essayait, il arriverait pas à leur ressembler. avec leurs soucis tellement ancrés dans la réalité et leurs fringues de prêt-à-porter. dégage tant que tu le peux encore ! mais c'est plus fort que lui, il doit venir, retrouver cette connexion folle. revenir là où ils se sont rencontrés pour la première fois. les fils à papa l'épuisent, la richesse l'étouffe, la vérité lui manque. ça fait des mois qu'il a pas causé à tim, même avant qu'il soit violemment éjecté contre le pare-brise de la volvo de jag. il baisse les yeux, pour la première fois intimidé par les murs pleins d'amiante de l'école en lambeaux. casse-toi, ils vont te reconnaître, un intrus, qu'il dégage. un ennemi, qu'on le tabasse. on sait jamais trop avec les gens d'la population.
mais il est pas là pour se recueillir, c'est pas son genre.
même si quand il passe devant le bâtiment, son coeur se tord et son estomac se noue.
ses yeux attrapent vite la silhouette recherchée et ses pieds se coordonnent à ceux du bonhomme devant lui. quand il sort une clope de sa poche, un rictus étire son visage. l'alibi qu'il attendait. sa lucky strike au bord des lèvres, il trottine en direction de l'autre garçon.
- t'as pas du feu pour moi steuplait ?
il peut même parler comme un mec normal quand il veut, liam. sans doute l'habitude d'avoir trainé avec tim trop longtemps. ses yeux fixent le zippo dans la main du gars avant de remonter le long de la mâchoire déjà anguleuse malgré l'âge et de se planter dans des prunelles surprises.

le ciel gris murmure doucement à tes oreilles, il refoule les paroles toxiques et les corbeaux dans ta tête. tu réajustes ton sac à dos d'un mouvement d'épaule, les doigts crochetés autour du bâton de feu et de papier. quelques mots lancés à la volée. tu jettes un coup d’œil par dessus ton épaule. surprise. un bourg ici, ça t'fait sourire. tu fixes ses lèvres, elles enlacent une lucky strike comme pour te narguer. tout c'que le gars dégage est fait pour te narguer. ses cheveux bien coiffés, ses fringues bien taillées. tu hausses le sourcil, septique. les secondes s'engrainent lentement puis tu lui tends ton zippo 'ricain un peu cabossé par le temps et les soirées, un peu comme toi. tu ne dis rien, t'as pas l'temps. tu dois aller traîner sur piccadilly circus avec cheryl. y'a pas mal de touristes crédules en c'moment ça fait ton biz. tu continues à r'garder le type fixement. dépêche-toi mec, j'ai pas d'temps à perdre crient tes yeux charbon. mais tu préfères économiser tes mots parce qu'un gars comme lui autour de regent, ça pue l'embrouille.

c'est déconcertant de se retrouver face à un mur de silence. les yeux parlent, ptet même plus fort que les cordes dans sa gorge, mais liam peut pas répliquer. lui qui a tellement l'habitude de rétorquer, de se lancer dans des joutes verbales, il est réduit au silence. par l'abdication de l'adversaire, certes, mais au silence quand-même. il inspire la première bouffée de fumée et la recrache après quelques secondes, les doigts toujours serrés autour de l'objet de métal. leurs regards ne se quittent pas, restent un peu trop longtemps accrochés pour l'indifférence. le zippo retrouve finalement sa place dans la paume de paumé, là où est sa place.
il mettrait bien quelque chose d'autre entre ses doigts.
- c'est toi gunn ?
insta lui a suffi pour mettre une gueule sur le patronyme.
maintenant il a plus qu'à espérer qu'il va pas s'enfuir, qu'il va rester bien sagement en place. sa main se pose sur son biceps, ses doigts se resserrent sur le tissu de sa veste, le regard appuyé dans le sien, et le souffle se retient. parce que s'il décide de s'enfuir, il le retiendra pas. à quoi bon ?
la voix est ferme, c'est lui le dominant, toujours, même si c'est lui qui vient en rampant en échage de quelques instants.
- j'ai besoin de toi
pour un service, un truc à la con, qu'il aurait pu demander au premier avocat venu, à n'importe quel contact. et ils auraient sûrement fait un meilleur boulot que le garçon. ça le ferait presque ricaner. ce petit joueur. faux papiers, face à l'homicide. qui est le plus gros criminel ? pas celui qu'on croit.

il t'fourre ton bien dans la main et alors qu't'es en train de le remettre dans ta poche, t'entends ton blaze s'envoler d'entre ses lips rosées. ça change tout. ça change tout parce qu'il n'est pas là par hasard. il cherche un truc, forcément. t'es prêt à parier les quelques billets dans ta poche qu'il vient de eaton. tes poings se serrent, méfiant. il est p't-être assez con pour vouloir régler quoique-ça-puisse-être ici, juste à côté d'regent. mais bon, c'est pas comme si t'avais tout un gang pour protéger ton petit cul terreux. y'a juste toi et tes muscles trop secs et ceux d'ton frère parfois, quand ça va trop loin. alors tu plisses les yeux, le corps tendu. ta clope se consume peu à peu. tu l'as oubliée. ça dépend, c'est pour quoi ? après tout t'es pas l'seul gunn du coin. l'truc c'est qu'il n'a pas la gueule à avoir besoin d'un gunn comme toi et ça t'embrouille un peu. pourtant c'est c'qu'il te dit. mot pour mot. mais la clientèle d'eaton, t'aimes pas vraiment ça. l'plus souvent ça pue trop la dorure pour être honnête. surtout lui. surtout lui et son regard sérieux. alors tu ne sais pas trop quoi faire. l'appât du gain ou la morale. tu regardes son visage qui laisse échapper quelques volutes de fumée âcre puis tu craques. quoiqu'tu veuilles, ça sera deux fois plus cher pour toi. parce qu'il n'y a pas moyen d'échapper à la thune facile d'un p'tit bcbg paumé. ton regard se pose derrière lui. suis-moi nate archibald. tu l'frôles assez pour qu'il puisse voir les stigmates de ton dernier combat, là, le long de ta mâchoire puis tu t'engouffres dans la ruelle repérée quelques instants plus tôt. le brouhaha urbain y semble étouffé. tu t'retournes vers le brun. t'as besoin de moi pour quoi ? demandes-tu l'air ennuyé.

l'argent a jamais été un problème. il ricane parce que gunn le sait. autant en jouer. il peut payer, y a pas dproblème. il coince sa clope entre ses dents et le suit à l'écart de la grand rue. manquerait plus qu'on le reconnaisse. ça arrive parfois. ça serait fâcheux. on veut pas le voir avec un gars comme gunn, il imagine à peine la réaction de son père. ah, s'il savait. archibald. ARCHIBALD. il grince des dents mais ne dit rien, recrache la fumée dans la nuque du garçon et obéit docilement. c'est pas la première fois qu'on l'appelle comme ça en plus, il est bien plus beau qu'le minet qui passe sa vie à se faire friendzoner. pis blake lively, non merci. pas son style. il laisse tomber sa clope hors de prix à ses pieds, néglige bien quelques centimètres et l'écrase de sa richelieu parfaitement cirée. plusieurs secondes s'écoulent avant qu'il daigne répondre. il pourrait lui demander des tas d'trucs.
surtout de s'agenouiller et d'lui ouvrir la braguette.
ça frétillerait presque là en bas, rien qu'à l'idée.
- on m'a dit qu'tu pouvais t'arranger pour m'faire des papiers d'identité plus vrais que nature.
jamais il pensera que c'est au cas où il doit fuir. s'il doit s'expliquer, il parlera des prochaines soirées auxquelles il doit se rendre. trop chiantes pour pouvoir les supporter sans alcool. ibiza sobre. et puis quoi encore ?

l'type met quelques secondes à répondre. quel con. comme si t'avais l'temps de perdre le temps. tu fronces les sourcils et inconsciemment tu commences à gratter les quelques croûtes de sang sur tes phalanges. ça brûle un peu, ça fait passer l'temps. puis nate te répond sans s'presser et déjà t'imagines tijuna et la weed et les putes et ça t'fais rire. grassement. ok. 100 balles. la moitié maintenant. ta voix claque dans l'air lourd anglais parce que t'es un peu jaloux. ça t'agace d'imaginer la merdeuse petite vie d'un autre gosse de eaton. c'est pas le même monde alors tu hausses les épaules, un peu hostile, un peu blasé. t'façon il doit bien avoir quelques cinquante livres dans sa poche. j'peux te faire ça pour la semaine prochaine. tu connais un gars qui fait ça bien. il vient de l'eastside, tout tes contacts viennent d'la même cité de toute façon. merci papa. tu te mordilles la lèvre inférieure en regardant l'autre et tu t'demandes pourquoi est-ce qu'il s'est pointé jusqu'ici pour une connerie pareille. ça t'gêne un peu, ça t'intrigue. après tout t'es pas si con : malgré toutes les couches de dorure, il doit y avoir pas mal de crasse à eaton. alors pourquoi nate s'pointe pour jouer avec un petit gars de regent comme toi ?

heureusement qu'il s'appelle schneider que rien que son bouton de manchette vaut plus que les quelques 50 balles que le gamin lui demande. il pourrait lui balancer son porte monnaie vide qu'il lui donnerais dix fois la somme qu'il réclame. son ricanement s'étouffe à peine derrière la barrière de ses lèvres quand il tire un billet comme on tire un mouchoir d'une poche de plastique. il le tend, coincé entre l'index et le majeur. goguenard, le petit connard. ça lui fera toujours le même effet d'se retrouver face à la plèbe. parfois il oublie qu'il est des puissants, d'ceux qui n'ont comme soucis que les problèmes futiles qu'ils veulent bien se créer pour eux-mêmes. et le rendez-vous est pris. la semaine prochaine. il acquiesce. il voudrait rester plus longtemps, essayer d'en savoir plus sur lui. tu connaissais tim ? vous étiez proches ? il allait comment ces derniers temps ? derniers vestiges d'une relation depuis longtemps oubliée de tous, sauf de lui. il sait bien que tim reviendra pas, mais gunn c'est le truc qui s'en rapproche le plus. parce qu'il l'a connu, parce qu'il a la même odeur, celle de l'abandon, d'la pauvreté acharnée. la semaine prochaine. il plonge une main dans la poche de sa veste, en sort un bout de papier rectangulaire. sa carte de visite.
- appelle quand c'est prêt
ou même avant, j'répondrai.
et il glisse le carton dans la poche arrière du jean du garçon avec un sourire en coin, sans jamais détourner le regard.
puis
après quelques secondes
il tourne les talons.
et dans ses rêves cette nuit la, le visage de tim vacille jusqu'à laisser place à celui de gunn.