I only love it when you touch me, not feel me

— teen attitude, teen problems.

“Cher journal,
Aujourd’hui, je“

Non, Tommy, ce n’est clairement pas le genre à coucher ses émotions sur un vulgaire carnet. D’une part parce que si cela s’imposait, il le ferait sur son iPad, mais surtout parce qu’il a plutôt pour habitude de tout encaisser jusqu’à l’implosion et tant pis pour l’ampleur des dégâts.

Blessure(s).

Ce mot, tu l’étouffes. Tu n’supportes pas qu’on en parle. Pourtant, t’as bien senti que ton genou avait tourné après avoir marqué. T’as pris sur toi pour que personne ne le voie. Depuis, tu serres les dents. Tu participes à chaque match et pour supporter la douleur, tu pioches dans l’armoire à pharmacie de ta mère, étagère « anti-douleurs », et depuis, tu passes entre les gouttes du contrôle anti-dopage. Personne n’est au courant de ton secret – addiction naissante, aide nécessaire. Le football, c’est dans ta famille depuis plusieurs générations. Ton père a longtemps porté les couleurs d‘un grand club européen et t’aspires à marcher dans ses pas depuis que tes lèvres ont modulé ta voix pour la première fois. A vrai dire, c’est ce que tu répètes depuis tellement d’années que t’as fini par toi-même t’en persuader. Le ballon rond, t’aimes ça, mais pour toi, c’est surtout un tremplin. A chaque fois que tu inscris un panier, tu vois une opportunité supplémentaire de t’éloigner de ton foyer.

T’as longtemps été un petit garçon heureux. Tes parents, ils se sont aimés. Dans ta chambre, tu gardes les vieux magazines people sur lesquels ils paraissent soudés. A cette époque, ton père était terriblement fier de se pavaner au bras de ta mère. Faut dire qu’ils se voyaient tellement peu avec les déplacements qu’ils n’avaient pas le temps de se lasser. Depuis, il a pris sa retraite, elle s’est montée la tête. Elle s’imagine un monde et il n’en peut plus de recevoir de mauvaises ondes. Toi, tu fais le tampon. T’es bien obligé, t’es l’aîné et t’as une petite sœur à protéger. Quand elle s’effondre, tu dis à ta mère d’aller se reposer. Tu jongles entre les cours, les entraînements, ta vie sociale, ton rôle de frère et tes idées sombres. De la famille, t’es devenu le pilier. Tu plies, mais ne romps pas.  

T’es réfléchi, Tommy. Tu ne te laisses pas happer par les apparences. T’aimes les jolis minois, mais tu cherches bien plus que ça. C’est peut-être pour ça que tu n’as pas encore franchi le pas. A vrai dire, ça ne t’empêche pas de dormir. Depuis quelques semaines, tu t’affiches aux côtés d’une jeune femme que tu as longtemps voulu dans tes filets. Les premières heures, le compétiteur que tu es s’est senti satisfaisait : tu avais atteint ton but. Pourtant, depuis, l’excitation des premiers jours est retombée. Tu n’y mets pas un terme parce qu’en dépit de ta lassitude, tu ne te sens pas assez solide pour tout arrêter. T’as bien d’autres préoccupations pour le moment, bien trop pour un garçon de seize ans.

T’es intelligent, Tommy. En revanche, tu supportes mal la concurrence. Tu ne te bats pas dans les règles. Tous les coups sont permis. Encore plus quand il s’agit de ceux qui gravitent autour de toi. Tes amis, tu ne les partages pas. Votre relation, elle ne s’imite pas. Ils sont l’éclaircie au milieu de ton paysage de nuages. Ils t’aident à te vider la tête et t’allègent le cœur. Ta meilleure amie, que tes parents ne veulent plus que tu voies parce que son histoire est moins reluisante que la tienne, tu n’acceptes pas qu’elle parle d’un autre que toi. Votre relation est ambiguë, mais si depuis toutes ces années, si quelque chose avait dû se passer, tu imagines que ça se serait fait. Entre vous, c’est scellé, il n’y a que de l’amitié. Et ce jusqu’à ce que l’amour la mort vous sépare.